Il faisait déjà chaud, très chaud, lorsque j’ai marché vers le Marché Art-Norme, sacs à la main, cœur ardent, fière et joyeuse. Une autre journée de canicule, dans mon corps, une certitude brûlante : je suis exactement là où je dois être.
En approchant de l’Espace Morphoze, là où se tenait l’événement, une voiture passe, vitres ouvertes, et dans l’air monte la voix de Nina Simone : A new world is coming. J’ai souri. Nina, je la partage souvent sur mes réseaux, elle accompagne mes œuvres, ma démarche. C’était un clin d’œil, un présage.
Le marché Art-Norme
Ce marché pas comme les autres est organisé par Projet CIAN, un organisme à but non lucratif qui œuvre à soutenir les personnes victimes d’actes criminels, les personnes marginalisées et vivant l’intersectionnalité de plusieurs systèmes d’oppression. Le marché a été organisé par l’organisme afin de valoriser l’art des personnes vivant des réalités marginalisées qu’il s’agisse de neurodivergence, de handicap visible ou invisible, d’identité LGBTQ2S+, d’appartenance autochtone, de santé mentale ou de toutes ces expériences croisées. Le marché célèbre la beauté de l’art fait par des personnes extraordinaires, en-dehors des normes. D’où son nom : Art-Norme.
J’y ai retrouvé des exposant·es inspirant·es, et une énergie profondément humaine.
L’installation et la joie
Comme à chaque fois, je m’installe, je déplie mes toiles. Et là, cette fierté qui revient, intacte : voir mes œuvres étalées, c’est me voir, moi. Dans ces couleurs, ces formes, cette liberté — je me reconnais. Elles sont moi, et je suis elles.



Les ami·es, les rencontres
Premier à arriver : Guillaume. Mon cœur bondit. Je saute de joie, je me lève et je l’embrasse. On peut parler des heures, lui et moi — d’art, de politique, de grands textes et d’idées qui nourrissent l’esprit. Il m’annonce qu’il lit Prochain épisode de Hubert Aquin, et qu’il a pensé à moi. ❤️🔥
« Cuba coule en flammes au milieu du lac Léman pendant que je descends au fond des choses. »
— Prochain épisode, incipit mythique écrit par Hubert Aquin.
Joie pure.


Puis arrive Pierre-Alexandre Bonin. Un être lumineux, magique, débordant d’idées. Auteur prolifique, engagé, il écrit pour les jeunes et les adultes, toujours avec une posture critique, une tendresse vive. On parle de Solar Punk, de Hope Punk, de Becky Chambers et du Congrès Boréal. Je prends des notes — j’ai envie de lire, de créer, d’explorer. J’explose de joie, tout en m’accrochant à ses mots.
Il tombe en amour avec mes toiles de David Bowie, Émile Nelligan et la Panthère rose. Je lui offre les deux premières en cadeau, il achète la troisième.
Émile Nelligan est parti avec David Bowie et la Panthère rose.
Trop intense pour le Québec. Ils ont fui vers une planète où les poètes ne se font pas ghoster.




Un peu plus tard, une autre amie en ligne que j’avais hâte de rencontrer en vrai arrive : Mélany Roy. Je suis tellement heureuse de la voir, de lui parler pour de vrai. Elle m’avait déjà acheté une toile d’Émile Nelligan — la voilà maintenant devant moi, douce, présente, lumineuse. Mélany a une force tranquille, une voix qui apaise et qui inspire en ligne, et en personne, c’est la même énergie vraie et vaste.
Elle me dit aussi qu’elle aime me lire. Que dans mes textes, on ressent à la fois la joie et l’ardeur. C’est un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire. Je lui confie alors que l’écriture n’a jamais été mon médium préféré. Qu’elle est parfois dure à traverser, avec ses normes, ses filtres, ses caprices. Que ce que je préfère, c’est parler, ou peindre. C’est là que je me sens libre. C’est là que je vibre sans me censurer.
Je lui dis aussi que j’adore le joual. Que c’est là, dans cette langue vivante, rugueuse, musicale, que je ressens le plus fort la voix du peuple. Une lingua franca d’ici, vibrante et vraie. C’est pas une langue morte, c’est une langue en marche. Et c’est ce peuple-là qu’il faut défendre. Pas l’élite, pas les faiseux d’opinions, mais celles et ceux qui vivent, qui créent, qui luttent.
On échange sur la politique, sur Québec solidaire, sur nos déceptions… mais aussi sur notre désir de continuer à se battre, à créer un monde merveilleux, un monde où les sorcières sont vues, écoutées, célébrées. Je lui offre en cadeau une toile d’une sorcière — une reconnaissance mutuelle entre deux âmes alliées.

La joie pure des abstraites
Ce sont mes toiles abstraites qui ont attiré les regards, et les cœurs. J’ai reçu des commentaires magnifiques sur les couleurs, les formats, la force qui s’en dégageait. On me demande si j’offre des cours d’art, on prend mes cartes, on m’encourage, on m’achète des toiles. C’est toujours une joie particulière, une reconnaissance intime : ces œuvres viennent de ma lumière intérieure. Ce sont elles qui naissent quand je crée librement, sans filtre, dans la joie la plus pure.
Je suis aux anges. Et je me sens pleinement à ma place.


Ma voisine de table
Je fais la connaissance de ma voisine exposante, une femme haïtienne magnifique, créatrice de bijoux. Son travail est fin, vibrant. J’achète une paire de boucles d’oreilles. Un petit trésor à porter.
On parle de nos identités, de la complexité des appartenances. Elle me confie que la communauté haïtienne ne l’a jamais vraiment accueillie. Je lui dis que je ressens la même chose du côté portugais, et que je retrouve parfois ces mêmes mécanismes d’exclusion chez certains Québécois aussi. On se comprend. On fraternise. Elle me recommande d’aller voir le Festival Mural sur Saint-Laurent, elle pense que mon art y trouverait sa place. Je note. Une graine est plantée.
Une évidence
Je poursuis mes découvertes et j’achète d’autres créations d’exposant·es, j’aime soutenir ces artistes, et je repars les bras un peu plus pleins, le cœur aussi.
Mais surtout, je repars avec une clarté. Une évidence intérieure. Il est temps pour moi de prendre une pause des réseaux sociaux. Ce jour-là, tout était si fluide, si aligné, si ancré dans la réalité tangible, dans les échanges réels, la matière, les regards, les voix. Je n’ai plus envie de me disperser dans l’énergie floue des algorithmes, dans le fake, la représentation et la performance. Dans l’hostilité. Dans la froideur. Dans le tiède. Arke. Le tiède. Me disperser dans les privilèges et les pantoufles des autres. Je déteste les réseaux sociaux. J’hais les fanclubs. Les clubs sociaux élitistes. Au secours ! Coudonc, y’en a donc ben des cons et des connes. I need a break. Yesterday.
C’est devenu limpide : c’est ici que je dois mettre mon temps et mon énergie.
Un clin d’œil de l’univers
Plus tard, je passe au Marché Métro, près de chez moi. Et là — je la vois.
Françoise Sullivan.
L’artiste. La pionnière. Une des mères de l’art moderne au Québec.
Je n’ose pas l’aborder, mais je la croise, je la regarde, je souris intérieurement.
Pour moi, c’est un clin d’œil de l’univers. Une bénédiction silencieuse.
Un rappel tendre, mais puissant :
Tu es sur ton chemin. Continue. Crée. Persévère.
Cette journée m’a tout donné :
des ventes,
des échanges humains,
une confirmation artistique,
des idées nouvelles,
une intuition limpide.
Je suis reconnaissante envers Projet CIAN, envers toutes les âmes lumineuses croisées, et envers moi-même, pour avoir choisi la création, encore et toujours.
Merci à Guillaume, Pierre-Alexandre, Mélany, à ma voisine de table, à tous ceux et celles qui sont venus me parler, m’encourager, acheter une œuvre, partager un sourire.
J’avance.
Avec lumière, intensité, et couleurs.
Joyeuse révolte,
Katy Borges
Artiste et militante
*Je prends une pause des réseaux sociaux cet été pour me consacrer à des projets créatifs, mais je demeure active sur Substack et Instagram.