Quand l'inclusion devient optionnelle
Rupture politique, culturelle et militante : je déclare la dissidence.
Je suis en rupture
Je suis en rupture. Avec un parti. Avec un milieu. Avec un pays que j'ai tant voulu.
Je regarde ce qu'il reste de Québec solidaire et je ne me sens plus chez moi. Je ne vois plus ma réalité reflétée. Je vois des slogans. Des affiches. Une posture de gauche. Mais où sont les luttes qui me concernent ? Où est le courage de nommer l'exclusion qui se vit ici, maintenant ?
Un repositionnement inquiétant
Je suis inquiète.
Parce que repositionner QS comme "le parti des travailleurs", ça a l'air noble. Mais dans les faits, ça signifie trop souvent qu'on met l'inclusion en arrière-plan. Qu'on parle de classes, mais plus de race. Qu'on parle d’économie, mais plus de langage inclusif. Qu'on revendique l'indépendance, mais qu'on oublie les peuples qu'on continue de marginaliser. Ça crée une hiérarchisation des luttes. Et moi, je suis toujours en bas.
L’immigrante modèle ne me représente pas
Et maintenant, on nous propose Ruba Ghazal comme figure de rassemblement.
Je la connais. Je sais qu'elle est travaillante, sincère, cohérente. Mais justement, c'est sa trop grande cohérence avec l'idéal québécois majoritaire qui me fait peur. Elle est devenue la figure parfaite de l'immigrante modèle. Elle parle parfaitement. Elle aime passionnément le Québec. Elle ne critique jamais sa culture. Et c'est pour ça qu'on l'aime. Parce qu'elle ne dérange pas.
Mais moi, je veux déranger
Je veux pouvoir dire que la culture québécoise est devenue un espace étouffant pour beaucoup. Qu'on empêche les gens de critiquer le statu quo. Que les voix autochtones, anglophones, allophones, queer, pauvres, neurodivergentes, sont marginalisées et méprisées. Que les jeunes qui ne parlent pas le français "comme il faut" se font humilier. Que les artistes dissidents sont ignorés. Et que les militants eux-mêmes, dans leurs cercles fermés, peuvent être hostiles, hautains, excluants.
Ce n'est pas rien. C'est structurel. C'est culturel. C'est politique.









Une brèche refermée
Et ça me déchire de devoir le dire, parce que j'y ai cru. J'ai voté, j'ai milité, j'ai fait confiance. J'ai pensé que GND ouvrait une brèche. Mais cette brèche est refermée.
Je ne peux pas me ranger derrière un parti qui se fige.
Je ne peux pas me ranger derrière une culture qui me réduit au silence.
Je ne peux pas me ranger derrière une idéologie qui me demande de choisir entre mes luttes.
Je veux tout
Moi, je veux tout. La justice sociale, oui. Mais aussi l'inclusion. L'antiracisme. Le droit d'être autrement. Le droit de parler avec un accent. De pleurer. D'être queer, neuroatypique, féministe, spirituelle, enracinée et déracinée à la fois.
Et si le Parti libéral du Québec veut mon vote, qu'il sache ceci : je l'attends sur le terrain de l'inclusion. Pas juste sur celui de l'économie ou de l'identité. Mais sur celui de la réalité. Des vrais enjeux. De ceux qu'on vit, nous, les exclus des discours dominants.
Ce que Ruba incarne
Parce que la gauche molle, les fantasmes nationalistes, les discours creux sur un pays à bâtir... tout ça ne me suffit plus.
Je veux un parti qui dérange pour vrai.
Pas qui se contente d’être confortablement marginal dans un Québec qui vire à droite.
Le départ de Gabriel Nadeau-Dubois a été un point de bascule pour moi. La perte de Manon Massé aussi. J’avais encore un espoir en Émilise Lessard-Therrien, mais il s’est éteint rapidement. Après une première défaite, Ruba Ghazal finit par obtenir le poste. Je n’étais pas contente.
Bien que ses origines palestiniennes aient longtemps servi de fantasme pour les nationalistes en mal de diversité, je ne vois là qu’un récit instrumentalisé. Une femme racisée qu’on élève pour mieux maintenir le statu quo. Parce que ce n’est pas vrai qu’elle élargit le cadre. Elle le solidifie. Toujours en train de cogner sur le clou avec son grand amour pour le français pis le Québec. Un moment donné… bof. Même pas besoin de détester le Québec pour voir clair : juste être un peu lucide, pis on identifie vite pas mal de trucs qui nous font décrocher.
L’exemple Ruba et la pression sur les minorités
La culture dominante québécoise s’est occupée d’elle. On a figé Ruba, elle aussi, dans le rôle de l’immigrante modèle — une autre qui crée un standard d’acceptabilité pour les gens issus des minorités, et qui met encore plus de pression sur les immigrants. Elle l’a très bien démontré avec son appui farouche à la Loi 96. Ce move-là a été fatal pour moi. Elle rassure les nationalistes et courtise les péquistes, mais elle ne crée pas d’espace réel pour les Premiers Peuples, les anglophones, les allophones, les analphabètes, ceux qui sacrent, qui parlent mal pis qui s’en calissent.
Et les autres luttes ?
Et puis QS se repositionne comme le parti des travailleurs. C’est noble, oui. Mais ça invisibilise d’autres luttes. On est entourés de gens qui trippent sur Andrew Tate, qui crachent sur les syndicats, qui applaudissent des auteurs misogynes, qui sont méchants à l’école avec leurs amis queers, des immigrants qui ne se sentent pas chez eux icitte, etc. Et comme au Québec on a tellement, mais tellement de misère à parler d’inclusion, se positionner comme le parti des travailleurs, c’est stratégique pour QS. Faque j’y vois de l’hypocrisie. Et je ne tomberai pas dans le panneau.
Perte de repères
Je me sens seule et inquiète. Je m’ennuie de GND, et j’en veux à tous ceux qui ont contribué à sa chute. Il portait ma voix. Il le disait dans leur face qu’il voulait un Québec pour tout le monde. Il parlait avec éloquence d’inclusion, il se battait pour les minorités. Il était fort. Je me sentais toujours incluse dans ce qu’il disait. On a perdu une voix pour l’inclusion. Et le fantasme nationaliste qu’incarne Ruba ne remplacera jamais cette perte.
Des voix qu’on perd
Plusieurs doivent ressentir la même chose en perdant Manon — une voix pour les queers. Ou en perdant Émilise — une voix pour les régions, mais aussi une façon différente d’habiter le Québec. Elle m’apportait tellement de fraîcheur, avec ses poules dans sa cour et sa machine à tisser. Et maintenant, c’est au tour de Christine — une féministe, écœurée elle aussi des milieux militants. Elle l’a dit dans une entrevue à La Presse, des choses que j’avais moi-même constatées : l’hostilité dans ces milieux. Ça peut être très souffrant. Assez pour quitter. Je la comprends. Je l’aimais bien, elle aussi. Une voix érudite, pleine de douceur.
Brasser le Québec
Bref, j’aime ça réfléchir à la politique et au Québec. Et comme lui, je suis en crise. J’ai besoin de changement. Pas juste d’idées et de slogans creux. J’ai besoin de me mettre en opposition directe avec le pouvoir. De talonner les idées nationalistes figées. De foutre le bordel, s’il faut.
Je suis séduite par le potentiel du PLQ en ce moment. De démolir le PQ et la CAQ. Je les déteste. Et je ne suis même pas libérale.
Mais si Rodriguez veut mon respect, il va falloir qu’il parle fort d’inclusion. Il est mieux de ne pas la jouer safe. Le Québec a besoin de se faire brasser.
Joyeuse révolte,
Katy Borges
Artiste et militante québécoise
Ta voix est forte, Katy. Merci 🙏
En mai dernier, j'ai fait quelque chose que je ne croyais jamais faire, je n'ai pas renouvelé mon adhésion à QS. Mon doute a débuté quand le parti a commencé à faire la promotion des cabanes individuelles (alors que GND était encore porte parole). En période de crise climatique et de crise du logement, cela est inacceptable. Les cabanes individuelles (et les chars même électriques) doivent être traités comme la cigarette, c'est à dire être surtaxés. Ensuite, le parti a commencé à accepter une certaine restriction de l'immigration (moins que les autres mais quand même). Le repositionnement m'a juste confirmé ma décision de ne pas renouveler. Je me demande comment Manon se sent là dedans car malgré ça, si c'est elle qui se présente en 2026, je vais quand même voter pour elle, je ne peux pas la laisser tomber.
PS merci pour le partage de la photo.
Je me sens de moins en moins bien au Québec